La proposition de budget de Bayrou agite l'état français, et un
mouvement social est de nouveau à nos portes. Agir à l'aveugle ne permet
pas d'avancer et nous avons pu voir ces dernières années que rêver
d'une insurrection ne suffisait pas à la faire. Nous devons comprendre
la situation le mieux possible et avoir des objectifs réalistes si nous
voulons avancer dans la caractérisation correcte et dans la mise en
place des conditions de la révolution dont nous avons besoin.
Le contexte de la proposition de budget
Même
si la proposition est brutale, nous devons en comprendre sa rationalité
capitaliste et, en même temps qu'on tient fermement le gouvernement
Bayrou pour responsable de ces réformes, comprendre que celui-ci n'agit
en dernière instance que comme le représentant de l'oligarchie
financière, en livrant au profit de cette dernière une énième offensive
contre les salaires des travailleurs. En effet, ces mesures ne visent
qu'à maintenir la compétitivité et les taux de profits en baisse du
Capital français tout en essayant de résoudre le problème de décennies
d'endettements des entreprises et de l'Etat. Mais ne nous fourvoyons pas
derrière le mysticisme des catégories économiques, car ce qu'il nous
faut surtout comprendre, c'est que ce qui est pris d'un côté est enlevé
de l'autre, c'est-à-dire, transféré du fonds des salaires à celui des
capitalistes. C'est dans cette dynamique qu'il faut situer le
démantèlement de l'Etat social, l'augmentation des taux d'exploitations
ou encore l'augmentation de l'investissement militaire. L'agenda de
l'Etat français suit ainsi en tout point celui de l'Union européenne
face à crise d'accumulation du capital : austérité et guerre [1].
L'économie
française a cependant la particularité d'avoir maintenu un Etat social
coûteux afin d'acheter la paix sociale que la restructuration économique
des années 80 avait mis en péril. Ces années de crise se sont
caractérisées par le développement technologique impulsé par
l'intensification de la concurrence internationale, ce qui a causé une
destruction de l'emploi et des salaires. Ainsi, l'Etat a tenté de
pallier cette destruction du salaire direct par les aides sociales, qui
ont elles-mêmes fini par générer une dépendance des travailleurs à l'État.
Mais, face aux protestations du prolétariat, l'Etat français n'a réussi
que partiellement sa mission de modernisation, alors même qu'il a
augmenté ses dépenses sociales. À titre d'exemple, la France avait en
2019 le deuxième ratio PIB/charges le plus élevé entre les pays de
l'OCDE derrière le Danemark, avec les difficultés que cela entraîne pour
l'investissement des entreprises [2].
Cependant,
les niveaux de croissance, d'endettement et de déficit ne permettent
pas de maintenir le niveau des prestations sociales, et, depuis le
paradigme capitaliste, le besoin de prendre des mesures drastiques est
de plus en plus grand afin de pouvoir faire face à la crise économique
qui touche tout l'occident. Ces mesures d'austérité ne seront donc pas
les dernières, et elles continueront probablement d'être accompagnées
d'un renforcement du tournant autoritaire de l'Etat afin de faire taire
toute dissidence potentielle. Le fait que le centre autoritaire,
l'extrême droite ou la social-démocratie soient au gouvernement ne
changera rien à l'affaire.
Pour
conclure, la raison fondamentale de ce budget est donc à chercher
ailleurs que dans les figures de Bayrou ou Macron, et réside plutôt dans
la tentative de maintien de l'économie française qui est empêtrée dans
une crise structurelle. À cet effet, toute proposition politique qui
prétend être en mesure de gouverner l'État autrement que ce qui est fait
actuellement sera confrontée à l'impossibilité de conjuguer, en ces
temps de crise, l'absence de croissance économique, l'endettement
chronique et le maintien des salaires. La gauche réformiste, par
exemple, même si elle montre une opposition à ce budget, n'a aucun
projet politique qui pourrait exister en dehors de cette guerre
généralisée contre les salaires, puisqu'elle est elle aussi prisonnière
des marges de plus en plus serrées du Capital. Au-delà de cela, les
luttes des dernières années nous ont clairement montré le lien direct
entre offensive économique et politique tant il est vrai que les
dernières protestations se sont toutes heurtées directement à des
institutions et outils étatiques antidémocratiques. Cependant, il ne
faut pas s'arrêter au seul horizon électoraliste, et il nous faut
présenter une autre proposition politique qui dépasse les contradictions
dans lesquelles sont enfermées toutes les formations politiques
parlementaires.
La possibilité de l'intervention politique révolutionnaire
Cette
situation est donc insoluble seulement si on raisonne en termes de
gestion capitaliste. L'enjeu de ce constat est central : le prolétariat
révolutionnaire ne doit pas régler les problèmes du capital, mais
utiliser ses contradictions pour construire le pouvoir socialiste. Au
contraire, nous devons même faire obstacle au maximum au pouvoir
bourgeois, afin qu'il s'enlise de plus en plus dans la crise. Comme nous
l'avons dit précédemment, l'instabilité actuelle est liée aux
difficultés qu'ont eues les différents gouvernements à mettre en place
les réformes comme ils le souhaitaient.
Dans
la voie de la révolution socialiste, nous identifions un grand défi
aujourd'hui : la reconstitution du parti communiste de masse à l'échelle
internationale, comme parti actualisé d'offensive. (3). Dans cette
optique, nous avons deux besoins tactiques : unifier les détachements
communistes par le débat stratégique et rendre hégémonique le communisme
révolutionnaire au sein des secteurs les plus avancés de la classe,
notamment la jeunesse prolétarienne.
L'action
communiste prend sens au sein de cette stratégie, et s'adapte aux
conflits créés par l'organisation capitaliste de la société, pour
frapper de plus en plus fort, dans de plus en plus d'endroits.
Nous
plaçons la lutte contre le budget dans ce contexte. Il semble que le
prolétariat n'ait plus d'autre choix que de reprendre le meilleur des
luttes des dernières années et de les dépasser, et à l'approche de
l'échance prochaine il semble qu'il montre justement une certaine
volonté à agir en ce sens. À cet effet, nous devons avoir des objectifs
clairs tout en étant capables de lier cette lutte à l'accumulation de
puissance stratégique. Ainsi, si parfois la reconstitution du Parti
demande un travail patient, il peut aussi y avoir des bonds en avant, si
nous faisons les bons choix. Aussi, au-delà de la construction du
Parti, ce cycle de lutte doit aussi permettre le maintien de meilleures
conditions de vie et de lutte pour l'avenir, et, en cas de victoire,
augmenter la confiance de la classe dans ses forces.
Propositions de lutte
Même
si la proposition de budget a une fonction de catalyseur, nous
constatons plus généralement une crise de l'organisation politique de la
France. Cette instabilité peut permettre de faire place à la
revendication d'un autre pouvoir politique. Pour cela, nous devons
amener la lutte contre le budget le plus loin possible, en apportant des
propositions d'action et d'organisation au prolétariat. À travers ce
texte, nous voudrions proposer quelques idées.
1. Ouverture d'espaces
Ouvrir
des espaces qui permettent l'organisation de la classe et qui
permettent de faire le lien entre les forces communistes et les secteurs
les plus combatifs. Pour cela, le Mouvement Socialiste a proposé de
manière théorique et pratique un nouveau paradigme du contrôle de
l'espace. Les Centres Socialistes doivent être un outil pour
l'accumulation de forces, en offrant un espace d'organisation à la
classe travailleuse et en même temps permettre une intervention
politique socialiste [4].
2. Constitution d'assemblées de lutte
Le
mouvement s'est créé indépendamment de la gauche et des syndicats, et
cela a rendu possible la création d'assemblés locales. Même si la
radicalisation des manifestations a montré son potentiel pour la
recomposition de classe, elle a aussi montré qu'il était nécessaire de
mettre en place des espaces pour débattre et décider des actions. Ces
assemblées de base doivent permettre une réelle prise de décisions par
les travailleurs et être rejoignables. Pour cela, une agitation correcte
et des mots d'ordre compréhensibles sont nécessaires. Ces assemblées
doivent mener la lutte contre le budget le plus loin possible et mettre
en lumière la force de la classe, l'impuissance de la gauche et la
nécessité d'un pouvoir politique indépendant. Dans ce sens, les appels à
bloquer constituent un mode de lutte difficilement récupérable par le
cadre bourgeois.
3. Activer toute la classe, combattre les tendances réactionnaires
L'attaque
de Bayrou frappe tous les secteurs de la classe, et cela nous permet de
diffuser des mots d'ordre universels. Il peut y avoir une tendance au
sein des mouvements sociaux à privilégier les revendications des
secteurs les plus aisés des travailleurs, comme les fonctionnaires par
exemple. Nous devons inclure les revendications de secteurs plus
marginalisés et mettre en avant des mots d'ordre qui contestent la
diminution des aides sociales, ou les attaques contre les droits des
chômeurs. Par ces revendications, nous devrions intégrer les secteurs
les plus touchés par ces réformes et par la crise de manière générale :
les jeunes et le prolétariat migrant, en tant que population de plus en
plus surnuméraire (du point de vue capitaliste), tout en combattant les
tendances réactionnaires, ouvriéristes et corporatistes.
4. Puissance de la jeunesse prolétarisée
La
jeunesse a montré plusieurs fois sa force ces dernières années. Elle
peut radicaliser le mouvement et mettre en avant des revendications
révolutionnaires. Nous devons renforcer, créer ou dynamiser des
assemblées de lutte dans les lieux d'étude, qui permettront l'activité
politique de la jeunesse. De plus, nous devons lutter pour les droits
politiques des étudiants, qui sont de plus en plus agressés et sans
défense face à la répression des institutions scolaires et de la police.
5. Propagande socialiste
Nous
devons proposer des outils de compréhension de la situation tout en
mettant en avant la proposition stratégique de la révolution socialiste,
qui devra s'imposer comme l'alternative générale à l'organisation
capitaliste de la société. Pour cela, il nous faudra des moyens adaptés à
la situation afin de proposer une analyse critique du mouvement, au
moment où il se déroule. Ainsi, nous devons être capables de critiquer
la social-démocratie en général, que ce soit l'intersyndicale, mais
aussi la France Insoumise et tous ceux qui gravitent autour et faire des
propositions de lutte adaptées à la situation.